Le Grand Paris s’est fondé sur un mythe : une gouvernance intégrée, toute entière consacrée à l’atteinte d’objectifs rationnels. Mais la réalité du processus d’adaptation du Grand Paris aux enjeux du logement, de la mobilité, du développement économique, du réchauffement climatique, est toute autre. Elle passe par une myriade de coalitions publiques, publiques-privées, privées, citoyennes. Avec chacune des capacités à faire et… à défaire. Tout l’enjeu réside donc, pour celles et ceux qui veulent s’impliquer, à rejoindre les bons réseaux de décideurs et de faiseurs. Le Club Ville Hybride-Grand Paris constitue à la fois l’une de ces communautés qui fait travailler ensemble depuis 2010 un réseau croissant de décideurs, d’opérationnels et de nouveaux entrants des projets urbains, et une communauté appréciée des autres coalitions d’intérêts (publiques, privées, citoyennes) qui oeuvrent dans le Grand Paris.
La gouvernance du Grand Paris, serpent de mer du projet. Longtemps attendue, jamais réalisée (ou très partiellement). Pourquoi ? Elle constitue une équation politique quasi impossible à réaliser entre les différents échelons (Etat, Région, Métropole). Comment imaginer une « cohabitation » sereine entre les trois têtes de l’exécutif dotées de moyens et de pouvoirs conséquents ?
En 2008, la forte impulsion politique du projet Grand Paris avait permis de transcender les clivages partisans. Transcendance qui s’est progressivement délitée. C’est l’un des paradoxes du Grand Paris : un territoire économique de premier plan… avec une gouvernance sans moyen à la hauteur des enjeux. L’une des alternatives serait d’élire un Maire du Grand Paris au suffrage direct. Mais rebelote : ses pouvoirs seraient immenses et sa capacité de nuisance, vis à vis des autres exécutifs, importante.
Comment faire en attendant ?
→ favoriser la coopération avec les parties prenantes publiques, privées et citoyennes. Le logement, la ré-introduction d’activités, la logistique urbaine, le développement économique, la dynamisation des centres urbains, la diminution du CO², l’économie circulaire, les nouvelles formes du travail, les nouvelles mobilités ont des impacts forts sur la programmation, le montage et l’économie des projets. Leur périmètre ne peut-être prédifini ou circonscrit. Cela n’aurait aucun sens.
→ faciliter la coopération entre les différentes échelles. C’est l’un chantiers les plus importants de la gouvernance car elle implique de sortir des modes de travail en silos qui impactent fortement les projets urbains. Instaurer une transversalité entre les différents projets (mobilité, énergie, économie circulaire, logement, espace public, activités…) est du domaine de l’opérationnel. Sa mise en oeuvre est cependant stratégique.
→ inviter les représentant du vivant dans la régénération des villes. Au même titre que les humains, les autres formes du vivant pourraient avoir aussi leurs représentants dans les délibérations. L’idée est loin d’être aussi loufoque et commence à faire son bonhomme de chemin.
Le mythe de l’Etat planificateur
Ceux qui affirment qu’il suffit que la puissance publique initie, pour permettre aux acteurs privés de jouer leur rôle de faiseurs, font fausse route. Il existe aussi un souhait récurrent du retour de l’Etat planificateur (qui constitue une chimère). Ce qui ne veut pas dire que l’Etat ne doit pas avoir une vision claire et s’affranchir de développer des outils et des règles à la hauteur des enjeux. Les élus et les services doivent en priorité muscler l’analyse des forces- faiblesses-risques-atouts de leur territoire (en amont des diagnostics), les partager plus largement, pour produire des intensions plus précises, une stratégie davantage partagée par l’ensemble des acteurs qui produisent la ville.
L’implication des parties prenantes locales (qui dépasse les seuls acteurs identifiés) mais aussi les signaux faibles porteurs d’innovation sous tous ses formes, devient fondamentale. Elle permet de développer des cahiers des charges plus précis et d’engager une dynamique qui s’auto-alimente. Sans ce travail fin, nous nous en remettrions aux nouveaux acteurs des services urbains type Google, Amazon. Qui produiraient de la ville standardisée, désincarnée par rapport à ce qui constitue la ville européenne, héritière des villes antiques (Babylone, Jérusalem, Constantinople). Qui se caractérisent par une imbrication forte entre le bâti, les usages et l’espace public (avec des modèles économiques robustes et une régénération des sols et du vivant).
Par quoi passe l’incarnation du Grand Paris dans les périmètres en transformation
De nouvelles centralités, situées dans les friches industrielles et ferroviaires, sous les ouvrages structurants, pré-existent aux projets majeurs du Grand Paris.
Ces nouvelles centralités comptent de nombreux tiers-lieux, acteurs artistiques et culturels, makerspaces, hackerspaces, fablabs, incubateurs alternatifs…qui interrogent notre rapport au travail, au logement, à la production, à la consommation, aux nouvelles formes publique-privée de l’intérêt général, comme les communs. On les trouve plus généralement au sein de l’Arc de l’innovation (lancé fin 2015 par la Ville de Paris, Plaine Commune, Est Ensemble, Grand Orly-Seine-Bièvre).
Ces nouvelles centralités et tiers-lieux sont le cœur des futures places du Grand Paris dont le développement urbain et économique est en cours. Ils sont les terrains de jeux de l’urbanisme transitoire dont de nouveaux acteurs de l’urbanisme se sont emparés.
Le Club Ville hybride-Grand Paris s’est spécifiquement fondé en 2010 sur l’identification de ces tiers-lieux dans le but d’incarner ce qu’on appelle dorénavant l’innovation d’usage et influer sur les projets, les modalités de la fabrique urbaine. La première édition du Club Ville hybride-Grand Paris s’est ainsi tenue dans l’un d’entre eux : le moulin Fayvon de Monte Laster à La Courneuve.
Ces tiers-lieux constituent des acteurs incontournables en phase de programmation des projets et d’appropriation de ceux-ci par les habitants et les utilisateurs. Plus ils contribuent à la revitalisation de leur territoire plus ils sont sollicités pour participer aux appels à projets.
L’émergence de l’urbanisme transitoire concomitant de la création de Ville Hybride
L’une des motivations de la création du Club Ville hybride-Grand Paris en 2010 est par ailleurs liée à l’émergence de l’urbanisme temporaire. D’abord marginal, il devient durant la décennie 2010 une composante incontournable des périmètres de projets pour amener le temps long des projets dans le temps court des habitants, préfigurer de nouveaux usages.
Aujourd’hui, face à l’explosion du nombre d’acteurs de l’urbanisme temporaire (ou éphémère ou de transition), il est intéressant de se pencher sur ces entités. Elles font bouger depuis une décennie les lignes de l’architecture et de l’urbanisme selon les logiques du « faire plus avec moins » et de l’organisation agile.
La classification ci-dessous est parfois artificielle tant certains acteurs pourraient appartenir à plusieurs familles. Elle n’est pas non plus exhaustive. Et nous appelons à la tolérance des acteurs vis-à-vis de notre catégorisation parfois réductrice. L’idée est plus de montrer les spécificités, les dynamiques, les courants qui traversent toutes ces initiatives.
Tout d’abord, pour être précis, il ne s’agit pas que d’urbanisme. Mais, c’est aujourd’hui le terme le plus générique pour qualifier ces nouveaux acteurs centrés usages, qui exercent tant dans les domaines du réemploi, de l’économie circulaire, de l’animation d’écosystèmes, de la production artisanale locale, de l’agriculture urbaine, de la préfiguration d’usages, de la concertation… En fait, les domaines concernés sont de plus en plus nombreux et croissent au gré des enjeux des projets. Ce mouvement n’est donc pas prêt de s’arrêter. Bien au contraire, il va s’amplifier, jusqu’à remodeler les standards de l’urbanisme et de l’architecture.
Ensuite, tous sont convaincus que le territoire est une ressource, constitué de richesses diverses et insoupçonnées. Et que c’est la rencontre entre l’ascendant et le descendant qui contribue au sens du projet.
Les précurseurs
De profil plutôt militant, même si ce n’est pas le cas pour tous, ils pratiquent une « architecture de combat », sans se bercer d’illusion par rapport à l’avènement du Grand Soir. Issus de l’économie de la débrouille, mais pas seulement, ils ont précédé la tendance de l’urbanisme temporaire et font pour certains figures de précurseurs. Ils sont plutôt architectes, urbanistes, paysagistes. Leur modèle : la ville résiliente et contributive, capable de s’adapter aux changements de manière agile.
· Julien Beller-6b
· AAA
· Coloco
· Mains d’oeuvre
· …
Les alternatifs
Ils sont très proches des « précurseurs », à ceci près qu’ils sont davantage issus de formations en sciences humaines et sociales (socio, philo, histoire…). Leur objet : porter des projets d’intérêt général dans les domaines du food, de la mobilité, de l’insertion, du réemploi…au sein de structures type SCOP.
. REFER
. Halage
. Etudes et Chantiers
. Cyclofficine
. Appui
· Clinamen
. …
Les animateurs
L’une des caractéristiques fortes des acteurs de l’urbanisme temporaire est leur capacité à créer et à mettre en mouvement des écosystèmes aux compétences diverses, de manière agile et hyper adaptable à leur environnement. Mais certains sont de véritables experts de l’animation et se font une spécialité de revitaliser des lieux délaissés (ils travaillent souvent avec d’autres acteurs de l’urbanisme temporaire dans une optique complémentaire). Encore plus que tous les autres, leur mode opératoire est d’apprendre en marchant et de ne jamais préjuger du résultat final. Ils sont plutôt issus du domaine artistique et culturel (mais pas tous).
· Soukmachines
. la Lune rousse
. Yes We Camp
. …
Les Y
Fraichement diplômés d’écoles d’architecture ou encore en cours de formation, ils n’ont pas connu les agences d’architecture et se sont lancés directement sur des projets. Ils ont rapidement sû s’imposer.
. Collectif etc
. YA+K
…
Les born again
Cette famille est décomposable en deux voire trois sous-familles.
Certains viennent du secteur traditionnel de la promotion ou ont des parcours professionnels plus atypiques et ont senti la montée en puissance de l’urbanisme temporaire. Ils ne sont pas très lointains des « hardsoft ».
· Plateau urbain
· …
D’autres sont des urbanistes de formation et ont travaillé soit chez des acteurs « alternatifs » de la promotion soit dans le domaine universitaire ou de la recherche appliquée en urbanisme.
· Le sens de la ville
· Promoteur de courtoisie urbaine
. …
Enfin, les troisièmes ont opéré un virage professionnel à 180 degrés. Plutôt quadra – génération passerelle entre l’ancienne et la nouvelle économie – l’architecture, l’urbanisme ne sont pas leur métier d’origine. Ils ne se qualifient d’ailleurs pas en tant que tels. Ils sont plutôt issus du monde de la communication, du journalisme et du marketing. Pour certains, leur métier actuel est même périphérique au secteur de l’urbanisme et de l’architecture. Ils sont pourtant révélateurs de la mutation en train de s’opérer dans ce secteur. A savoir d’aller chercher sans cesse de nouvelles compétences, extérieures ou périphériques, pour répondre aux nouveaux enjeux des projets.
· ICI Montreuil
· Ville hybride
· Les Alchimistes
· Enlarge Your Paris
· Les Mystères du Grand Paris
· …
Les circulairistes
Ils se sont spécialisés dans un domaine bien précis. Plusieurs acteurs des différentes familles pourraient se retrouver dans celle-ci. Leur domaine est plutôt l’économie circulaire au sens large mais aussi et beaucoup l’agriculture urbaine. Ils ne sont pas si lointains des « ex-nihilo » mais la dimension environnement, préservation des ressources y est première dans leur activité.
· Bellastock
· Topager
· Sous les fraises
· Cultiver la ville
· …
Les startuppers
Leur centre de gravité est Paris intra-muros (le 2nd arrondissement, berceau des start up parisiennes) et sont ultra connectés aux autres grandes métropoles internationales. Pour la plupart très diplômés, ils apportent les outils de type design thinking et innovation ouverte issus des grandes écoles de management, piochés dans les universités californiennes de renom (Berkeley, Stanford).
· Numa
· Ouishare
· Liegey Muller Pons
. The Family
. …
les gentrificateurs
Apparus plus récemment ils participent de la gentrification des territoires qu’ils investissent. Leurs activités ont en général pignon sur rue et contribuent à la revitalisation d’un quartier. Ils sont très proches des « startupper ». Il s’agit soit de lieux de vie et/ou de commerces, tendance décrit dernièrement par Jean-Laurent Cassely (certains lieux combinant les deux usages voire d’autres liées à l’apprentissage, la transmission de savoir faire) :
. Le hasard ludique
. Les Arts codés
. les enseignes de rdc valorisant les circuits courts et/ou régionaux (rue du Nil dans le 2nd ardt de Paris, tiens tiens, par exemple)
Les inclassables
Ils ne se revendiquent pas acteurs de l’urbanisme temporaire et pourtant ils en sont des acteurs charnière. La plupart sont des artistes et investissent des lieux dévalorisés pour revitaliser des périmètres à l’abandon où ils y dénichent des pépites. Ils ont aussi une forte capacité à créer et à animer des écosystèmes. Ce sont très souvent des précurseurs et ne cherchent pas à devenir des professionnels de l’urbanisme, juste à être des acteurs engagés dans la vie de la cité (ce qui est la motivation de base de l’urbanisme temporaire).
· Monte Laster-FACE
· Nicolas Cesbron-Briche foraine
· Daniel Purroy-Collectif 6bis
· Deuxième groupe
· Oblik
· Frères Poussière
· …
Les hardsoft
Issu des métiers traditionnels de l’urbanisme et de l’architecture, les usages sont leur dada. L’une des conditions de réussite des solutions qu’ils préconisent résident dans l’habitant contributeur : pas d’architecture et d’infrastructure durable et capable ou de modèle énergétique vertueux sans prise en compte de la réversibilité des usages, des pratiques habitantes. Ils préfigurent ce que seront de plus en plus les agences en urbanisme/architecture, voire les acteurs de la promotion (même si leur domaine d’application est plus vaste), et entendent bien dépasser le modèle de leurs prédécesseurs axés sur la forme.
· Atelier Georges
. Franck Boutté Consultants
· Tolila Gililand
· ABF-Lab
· Tracks architectes
· …
Cette classification parfois réductrice ne reflète pas toutes les dimensions des activités des acteurs de l’urbanisme temporaire. Mais il est important de faire ressortir ses particularismes et de prendre quelques instants pour analyser ses pratiques.
L’exploration urbaine comme mode d’appréhension sensible des périmètres de projets
→ Précurseur, Ville hybride initie dès 2010 l’exploration urbaine à travers les treks urbains dans le cadre des visites de territoires (Pleyel, Parc des hautes Bruyères, Saclay, Groues, Fort d’Aubervilliers, Cité Descartes, Ardoines, VDO, Bourget, Fort d’Issy, Fort de Villiers, Bry-Villiers-Champigny, Bondy, Courneuve-6 routes…).
→ L’idée est d’incarner, d’aller à la rencontre des lieux, des personnes ressources, des initiatives créatives disséminés dans et aux abords des périmètres de projets du Grand Paris.
→ Ce format permet de mieux comprendre leurs spécificités physique, social, culturel, économique, en compagnie des acteurs locaux (élus, techniciens territoriaux, tiers lieux, associations spécialisées).